Vincent Vitte, scénariste et réalisateur : « faire un film, c'est piocher dans son intimité la plus profonde »
De Morteau à Paris : itinéraire d'un enfant des montagnes
En Franche-Comté il y a des montres suisses, du fromage, des vaches, des saucisses… Et des cinéastes. En 1973, Simone Signoret et Alain Delon posent leurs valises à Pontarlier (Doubs), pour faire naître le film « Les Granges Brûlées » (réalisé par Jean Chapot). 21 ans plus tard, en octobre 1994, Fabienne Billod, directrice administrative et financière en suisse voisine, et Emmanuel Vitte, artisan tailleur de pierres, s’installent à leur tour à Pontarlier pour donner naissance à leur fils, Vincent Vitte.
Naturellement, à cette époque, Fabienne et Emmanuel ignorent que leur fils aura un quelconque rapport avec le cinéma. Lui-même l’ignore aussi, évidemment, bien qu’il montre très vite un goût prononcé pour les cascades, comme, par exemple, le jour où, à 3 ans, il dévale une colline sur la banquette arrière de la voiture de son père, après en avoir ôté le frein à main. La biographie aurait pu s’arrêter là, mais (spoiler) il survit.
Quelques années plus tard, la famille s’installe à Morteau, petit village niché dans les montagnes, non loin de là. De la fenêtre de la chocolaterie, où travaille sa mère et où il réside, le jeune Vincent Vitte regarde, rêveur, passer la locomotive à vapeur de « Monsieur Batignole », réalisé par Gérard Jugnot. Dans son école, c’est Nicole Garcia qui y filme « L’Adversaire », avec Daniel Auteuil.
Le 7ème art lui fait de l'oeil, mais c'est d'abord sur le papier que Vincent Vitte jette son dévolu. Au lycée de Morteau, il choisit la filière littéraire, où il rencontre son meilleur ami Kevin Desmidts, avec qui il formera plus tard un binôme inséparable.
Le bac en poche, il quitte Morteau… pour Paris, où il est propulsé au prestigieux lycée Henri IV, en classes préparatoires de lettres modernes, puis à la Sorbonne, en philosophie.
De la ruralité à l’élite, la transition n’est pas rose, le dialogue parfois complexe. « J’ai découvert un monde où cohabitent complétement une précarité totale et des gens beaucoup plus aisés. (…) Pour la première fois dans ma vie, je me suis rendu compte que le langage échouait lamentablement, à un moment où j’avais vraiment quelque chose à dire. »
Alors, quand la parole lui manque, Vincent Vitte se tourne vers l'écriture... puis le 7e art.
Qui plume a, guerre a : l'heure de la discorde
Entre ses névroses personnelles et la violence des rapports sociaux auxquels il se retrouve confronté, Vincent Vitte a des choses à dire. Il commence par les écrire, d’abord sous la forme d’un roman. « Très vite, je me suis aperçu que je n’écrivais que des dialogues », précise le jeune auteur.
Au même moment, son colocataire Adrien Rogé, autre franc-comtois exilé (étudiant en audiovisuel), lui demande de l’aide pour un concours, le Nikon Film Festival.
Du dialogue au scénario, il n’y a qu’un pas, que Vincent Vitte franchit volontiers en écrivant « Je suis une discorde ». 2 minutes 40 de comédie autour d’un couple qui n’est d’accord sur rien : le ton est donné.
Sur le tournage (où il fait d'ailleurs un caméo en tant que vendeur ambulant), Vincent s’intéresse à la réalisation, et commence à souffler ses idées à Adrien. Il travaille également pour la première fois avec Gaylor Morestin, compositeur de la musique originale, avec qui il continuera à collaborer par la suite.
Présenté au festival, le mini-métrage plaît et attire l’attention du jury, qui le sélectionne pour tous les prix mis en jeu.
Premier succès : « Madame est bonne ! »
Convaincu par l’exercice, il s’attaque à sa vision très personnelle de la cellule familiale et rédige entièrement un premier scénario de long-métrage.
Ce travail, il le présente à une connaissance : Jean-Étienne Cohen-Séat. L’homme, ancien directeur délégué du groupe Hachette, PDG des éditions Calmann-Lévy pendant plus de 20 ans et désormais membre du Comité Consultatif des Programmes de la chaîne Arte, est séduit par le style et l’écriture de Vincent. Il lui suggère de commencer par un court-métrage, pour s’essayer à la réalisation.
En quelques nuits, Vincent Vitte réveille les personnages secondaires de son premier ouvrage et écrit le scénario de « Madame est bonne ! », un court-métrage de 25 minutes.
Il présente d’abord le projet au G.R.E.C. (Groupe de Recherche et d’Études Cinématographiques), qui le juge trop peu expérimental à son goût. Déçu, Vincent Vitte appelle son meilleur ami Kevin Desmidts en pleine nuit. Étudiant en gestion et communication et entrepreneur dans l’âme, le jeune homme lance un défi : « Après un long silence, il me dit : et si c’est moi qui le produisais ? ». Les dés sont jetés.
Pour promouvoir le projet, Vincent Vitte réalise un mini-métrage surprenant, toujours avec son acolyte Adrien Rogé et accompagné par une amie plasticienne, Maya Maximovitch. Dans un décor en carton-pâte, le synopsis de « Madame est bonne ! » est interprété par des marionnettes en papier, mises en mouvement par le jeune réalisateur, glissé sous une table.
Très vite, la machine s’emballe et le film reçoit un soutien providentiel, se hissant au rang de court-métrage le plus soutenu de France. Vincent Vitte et Kevin Desmidts enchaînent les interviews, et font plusieurs fois la une de la presse quotidienne.
Impliqué jusqu’au bout, Vincent Vitte contrôle de A à Z la réalisation de son premier court-métrage. Il esquisse les futurs décors, retrousse ses manches pour les construire avec les décoratrices jusqu’à la veille du tournage, dirige son chef opérateur (Leo De Celles) et le compositeur de la musique originale (Gaylor Morestin) avec ses choix artistiques bien définis, co-signe le montage du film et ose à peine cligner des yeux au moment de l’étalonnage.
Alors, forcément, quand le film fait salle comble au Max Linder Panorama le lendemain de son anniversaire (le 25 octobre 2016), c’est avec beaucoup d’émotion que Vincent Vitte rappelle au public que « pour faire un film, on vient piocher dans son intimité la plus profonde ».
Le cinéma, il le perçoit d'abord comme un art vivant, partagé avec les spectateurs. « Cette fiction (…) c’est comme une énorme caisse, dans laquelle votre réalité à chacun d’entre vous va venir faire un écho un peu particulier. Bien sûr tous ces échos seront différents, mais ils arriveront dans cette même caisse avec une forme particulière que nous aurons façonnés de nos mains. (…) J’espère qu’avec presque 600 échos ce soir, on résonnera ensemble. »
Sa bonne étoile : Line Renaud
Parmi les applaudissements du Max Linder Panorama, ceux de Line Renaud. L’actrice, dont l’on ne présente plus la carrière, s’élance vers lui et annonce : « Il n’y a plus qu’à trouver une belle histoire, et la faire ensemble ! ».
Ce soir j'étais à la projection du court métrage @madameestbonne. Bravo à cette équipe de jeunes motivés, passionnés et talentueux ! Line
— Line Renaud Officiel (@linerenaud) 25 octobre 2016
Une fois de plus, les dés sont jetés. Accompagné par son fidèle producteur-manageur Kevin Desmidts et par Jeremy Picard (assistant de Line Renaud), Vincent Vitte travaille et peaufine, un an durant, un scénario taillé sur-mesure pour l’actrice.
Dans « Les Bijoux de famille » (le titre de ce nouveau film), Line Renaud incarne Lutetia Cenci, une femme d’affaires control-freak qui tente coûte-que-coûte de faire main basse sur l’entreprise familiale, sur laquelle son mari règne en maître.
« C’est une comédie dramatique », précise Vincent Vitte. « J’ai toujours été fasciné par les comédies de la deuxième moitié du vingtième siècle, où le rire se mêle à un scénario aiguisé, des dialogues finement ciselés et un jeu d’acteur inoubliable ». Derrière les gags, on distingue la trace d’un témoignage cinglant sur notre époque actuelle, plongeant dans les travers de la société de communication et des affaires politiques.
« Le couple Cenci, c’est un peu les Balkany » sourit Kevin Desmidts. Lorsqu’on lui demande de résumer le style de Vincent Vitte, il répond : « C’est un croisement entre la comédie populaire bien française, et un cinéma classique, marquant, un cinéma d’auteur ». Et de rajouter : « Vincent jongle toujours entre le cynisme et l’humour noir, à la limite du burlesque. Les Bijoux de famille en est le meilleur exemple. C’est un jeu d’échecs : Vincent s’amuse avec ses pions, et laisse le spectateur construire sa propre morale derrière. »
Avec ce nouveau projet – son premier long-métrage, révélé sur France Bleu et dans l’Est Républicain fin 2018, Vincent Vitte souhaite aussi rendre hommage à Line Renaud, qui lui a tendu la perche. « Le rôle de Lutetia Cenci est un personnage plein de ressources, pétillant, dynamique, malicieux. J’ai voulu faire quelque chose qui soit à la hauteur de l’artiste, pour lui permettre de s’éclater et de donner le meilleur d’elle-même ».