« Madame est bonne ! », ou le triomphe d'un court-métrage au Max Linder Panorama
Du court-métrage au cinéma
Il y avait du monde, ce soir-là, au Max Linder Panorama. L’avant-première du film « Madame est bonne ! », dont les réservations affichaient complet depuis une semaine, a bel et bien fait salle comble mardi 25 octobre à 20h dans cette salle de cinéma emblématique de la capitale. Un fait d’arme inédit pour un court-métrage (25 minutes).
Entre notoriété confidentielle, formats inhabituels et moyens de communication sans commune mesure avec les longs-métrages portés par les piliers du secteur, les films de court-métrage attirent rarement le grand public dans les salles obscures en dehors des festivals qui leur sont dédiés.
Construit au 24 boulevard Poissonnière, dans le 9ème arrondissement de Paris, en 1911, le Max Linder Panorama est un lieu bien connu des cinéastes. Dernière de Paris (avec le Rex, situé juste en face) à posséder deux balcons, la salle impose tant par ses mensurations (presque 10 mètres de hauteur sous plafond) que par son immense écran incurvé de 107m², qui a vu défiler les plus grands films et les avant-premières de Francis Coppola, David Lynch ou encore James Gray.
En choisissant d’y présenter leur premier court-métrage au grand-public, Kevin Desmidts (producteur), Vincent Vitte (scénariste et réalisateur) et Adrien Rogé faisaient un pari aussi risqué qu’ambitieux. La longue file d’attente sur le trottoir du cinéma et les longues minutes d’applaudissements à l’issue de la séance leur ont finalement donné raison. Au micro sur la scène, Kevin Desmidts s’adresse aux spectateurs :« par votre présence, vous prouvez qu’il est possible de faire du cinéma avec un court-métrage, et de faire du court-métrage au cinéma ».
Entre deux mondes
Des discours prononcés ce soir-là, c’est celui de Vincent Vitte qui a le plus marqué le public. « Je viens d’un monde rural, je suis arrivé à Paris au lycée Henri IV. (…) J’y ai découvert un monde où cohabitent une précarité totale et des gens beaucoup plus aisés », explique le jeune scénariste et réalisateur âgé de 22 ans.
« Ce qui m’a poussé à faire un film, c’est un jour où j’ai rencontré quelqu’un qui ne connaissait pas du tout cette précarité-là. J’ai essayé de lui expliquer, de trouver les bons mots pour lui faire comprendre ce que tout cela pouvait vouloir dire dans la réalité. Comment mettre des mots sur une réalité pareille, sur le quotidien d’un ami qui se fait réveiller tous les jours par une fourmilière dans son lit ? Sur le quotidien de cet ami qui travaille le soir dans un fast-food et qui étudie à la Sorbonne le lendemain matin ? » L’émotion est palpable, derrière les mots du jeune homme qui, il y a quelques années encore, vivait son enfance dans la chocolaterie où travaillait sa mère.
Dans la salle, les spectateurs écoutent attentivement. Étudiants ou retraités, parisiens ou provinciaux ayant fait spécialement le déplacement, tous prêtent leur attention à l’histoire que raconte Vincent Vitte, à savoir, la sienne. « Le public, ce soir, est très hétérogène. Cette fiction, c’est comme une énorme caisse dans laquelle votre réalité à chacun d’entre vous va venir faire un écho un peu particulier. Tous ces échos seront différents et arriveront dans cette même caisse avec une forme particulière, que nous avons façonnée de nos mains. J’espère qu’avec à peu près 600 échos ce soir, on résonnera ensemble. »
Un triomphe
La soirée avait commencé avec la projection d’un petit film d’animation de 3 minutes 38 réalisé par Vincent Vitte en 2015 (servant, à l’époque, de support à la campagne de financement participatif), dévoilant les grandes lignes de l’intrigue. Elle s’est poursuivie avec un reportage de 15 minutes intitulé « Derrière Madame », consacré à l’aventure qui a permis la création du film. Au programme, l’amitié d’enfance qui unit les quatre jeunes cinéastes, le record de financement participatif (27 600 € récoltés en 2015 sur TousCoprod), puis l’impressionnante solidarité locale qui a débouché sur un tournage hors-normes. Un reportage qui fait la part belle à tout ce qu’il y a d’humain derrière un film, la vie d’une équipe et les émotions de chacun.
Puis, enfin, vient la projection du film. Malgré la présence de centaines de personnes, plus un bruit ne vient perturber l’attention des spectateurs, excepté les rires qui ponctuent çà et là les touches d’humour et d’ironie du scénario. La configuration sonore flatteuse du Max Linder Panorama (l’une des plus perfectionnée à ce jour) fait la part belle à la musique originale composée par le jeune bourguignon Gaylor Morestin, 25 ans.
Enfin, dès les premiers cartons du générique, le verdict tombe. Faisant fi des usages, à l’image d’une équipe qui n’a pas hésité à sortir des sentiers battus, les spectateurs n’attendent pas le défilant pour exprimer leur enthousiasme. Un tonnerre d’applaudissements s’élève de la salle, en crescendo ininterrompu pendant plus de deux minutes, le temps pour toutes les personnes ayant participé au projet (plusieurs centaines) de voir leur nom défiler sur l’écran. Un peu hébétés, Kevin Desmidts, Vincent Vitte et Adrien Rogé s’élancent vers la scène pour remercier leur public, qui, de son côté, poursuit encore ses acclamations.
Des personnalités enthousiastes
#MEB #MaxLinder ce soir !#LeCourtMétrageLePLusSoutenuDeFrance#KevinDesmidts #VincentVitte #AdrienRogé
— francoishanss (@FrancoisHANSS) 25 octobre 2016
Bravo #DemainEstLà pic.twitter.com/Lqbqjigzu3
Ce soir j'étais à la projection du court métrage @madameestbonne. Bravo à cette équipe de jeunes motivés, passionnés et talentueux ! Line
— Line Renaud Officiel (@linerenaud) 25 octobre 2016
Parmi ce public très hétérogène, on notera la présence de plusieurs personnalités telles que le réalisateur François Hanss (Grand Prix Sacem de l'Audiovisuel en 2014, La Lettre avec Jean-Baptiste Maunier en 2007, et fidèle collaborateur de la chanteuse Mylène Farmer), le romancier et cinéaste Gérard Mordillat, l'acteur Yoshi Oida (à l'affiche actuellement de Silence, le nouveau film de Martin Scorcese), les photographes Patrick Zachmann et Christine Spengler, les musiciens David et Thomas Enhco, la chanteuse Caroline Casadesus, et l'illustre Line Renaud.
Dans les heures et les jours qui ont suivi l'évènement, les retours ont été nombreux, et très positifs de la part d'un public qui salue d'emblée la force avec laquelle cette jeune équipe a mené ce combat, construisant ce projet de toutes pièces en partant de zéro. « Respect et admiration devant tout ce travail, cette énergie, ce savoir-faire, et cette belle humilité/humanité à vivre ensemble ce pari fou afin de sortir des sentiers battus », écrit par exemple François Hanss sur Facebook. Après avoir discuté avec les jeunes réalisateurs, Line Renaud se met en quête de féliciter personnellement Daphné Juster, la comédienne qui incarne Madame, ainsi que Gaylor Morestin pour sa musique et Léo De Celles pour ses lumières.
En marge, un spectateur se dit « sincèrement impressionné » par ce qu'il considère comme « un très beau film : épuré, tendu, captivant et drôle aussi ». « J'aime beaucoup le ton grinçant du sujet qui me rapelle celui de Chabrol », déclare pour sa part Caroline Casadesus. Pour Gérard Mordillat, « C'est réussi et, en sortant de la projection, on se dit vivement le prochain ! ».
À quand la suite ?
Pour le prochain, il faudra encore se montrer patient. Un projet de long-métrage serait sur les rails. L'engouement du grand public autour de « Madame est bonne ! », lui, est réel : auparavant, le film avait déjà réuni près de 700 spectateurs en Franche-Comté en septembre, à l'occasion de deux avant-premières à guichets fermés.