Line Renaud dans les bijoux de famille ? Le nouveau défi de « Madame est bonne »
« Madame est bonne ! » : la success-story d'un court-métrage sorti de nulle part
« Quand on s’est lancé dans ce projet, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Faire du cinéma quand on a 20 ans et qu’on n’a pas spécialement fait d’études là-dedans, c’était une sorte de challenge ». C’est sur ces mots que Kevin Desmidts, producteur de « Madame est bonne ! », introduit le making-of du court-métrage qui a battu, en 2015, un record de financement participatif avec + de 22 000 € collectés auprès de 251 coproducteurs. Originaire de Morteau, petit village niché dans les montagnes franc-comtoises, le jeune homme avait fait un pari, avec son meilleur ami d’enfance Vincent Vitte, auteur-réalisateur. Le pari de produire et réaliser ensemble, en toute indépendance, leur premier court-métrage.
La démarche était aussi risquée qu’audacieuse. « Au départ, personne n’y croyait. C’était utopique. Même nous, avec un objectif fixé à 10 000 €, on avait très peur de ne jamais l’atteindre » expliquent les jeunes artistes. Puis tout s’est emballé. Le projet fait les gros titres de la presse locale, puis régionale. La députée du Doubs Annie Genevard (aujourd’hui vice-présidente de l’Assemblée Nationale) les soutient publiquement. Particuliers, entreprises, artisans et collectivités locales : une mobilisation populaire sans précédent s’organise, et, en une semaine seulement, les cinéastes récoltent de quoi doubler leur objectif – et passer ainsi loin devant tous les autres courts-métrages financés en crowdfunding. Aujourd’hui encore, le projet figure parmi les projets historiques sur le site de la plateforme TousCoprod.
Le tournage amateur prend des allures de grande production, sous l'oeil attentif des médias : un studio de cinéma éphémère, construit dans un hangar industriel. Un décor de 100m², entièrement créé pour l’occasion. Une équipe complète de 30 cinéastes, fraîchement débarqués de Paris, hébergés et nourris par des hôteliers et restaurateurs locaux. Pour Eric Daviatte, journaliste à l’Est Républicain, « (ce projet) a valeur d’exemple pour toute la jeunesse d’un territoire, une jeunesse lycéenne qui ne sait pas trop quel sera son avenir ». La région rejoint la liste des financeurs, au titre d'une aide aux talents émergents.
Puis vient la diffusion, en 2016. Après neuf mois d’absence, le temps de s’occuper de la post-production, les cinéastes annoncent une avant-première à Morteau (il faut rendre à César ce qui appartient à César). L’annonce est à peine faite que la soirée est complète. Une deuxième date est ajoutée. Complète elle aussi. Deux soirs de suite, ce sont au total 700 personnes qui se retrouvent au cinéma pour voir un court-métrage, en milieu rural.
Le succès aurait pu rester local. La suite en a décidé autrement. À Paris aussi, « Madame est bonne ! » a conquis le grand public. Le 25 octobre 2016, à 20h, la foule se presse sur les trottoirs du Boulevard Poissonnière. Ce soir-là, exceptionnellement, « Captain Fantastic » est déprogrammé. 600 personnes – c’est plus que la capacité d’accueil de la salle – tiennent en main le précieux sésame qui leur permettra de découvrir le premier court-métrage de Vincent Vitte sur l’écran du mythique Max Linder Panorama. Dans les allées, on croise Yoshi Oida, François Hanss, ou encore Line Renaud.
En 2017, le film traverse même l’atlantique et est sélectionné à New York, au Kew Garden Festival Of Cinema. Daphné Juster, alias Madame, y est nommée pour le prix de la meilleure actrice dans un second rôle.
Rencontre avec Line Renaud : « un choc de générations »
Ce soir j'étais à la projection du court métrage @madameestbonne. Bravo à cette équipe de jeunes motivés, passionnés et talentueux ! Line
— Line Renaud Officiel (@linerenaud) 25 octobre 2016
À 90 ans, on pourrait croire Line Renaud rangée des voitures. Ce serait bien mal connaître l’icône légendaire de toute une génération. Intriguée par le parcours atypique des jeunes montagnards, l’actrice a assisté à la soirée au Max Linder. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que « Madame est bonne ! » l’a conquise.
Kevin Desmidts se souvient : « À la fin de la soirée, elle s’avance vers nous et nous dit soudainement : il n’y a plus qu’à trouver une belle histoire et la faire ensemble… ». L’imagination de Vincent Vitte ne tarde pas à se mettre en ébullition. « Il y a assez peu de films qui s’articulent autour d’un personnage principal senior – encore moins autour d’une femme, d’ailleurs. Alors qu’il y a beaucoup d’histoires qui peuvent s’imaginer dans ce contexte ». Et ce n’est pas l’actrice qui le contredira : « On est les mêmes qu’à 40 ans mais en pire. Ça devrait inspirer les gens, ça, non ? », s’esclame-t-elle dans Dix pour cent (voir ci-contre).
L’idée était donc lancée. D’un côté du fil, un auteur-réalisateur et un producteur-manager, qui à seulement 25 ans et à l’aube de leur carrière, allaient mettre sur la table leur fraicheur, leur énergie et leur vision de la société. De l’autre, une figure emblématique de la culture française, qui, du haut de sa carrière exemplaire, allait partager avec eux ses expériences on ne peut plus diversifiées et son expertise. Un « choc de générations » aussi excitant qu’improbable.
L’équipe de choc se revoit à plusieurs reprises, « pour comprendre un peu quelles étaient ses envies, ses idées, quelle était la patte qu’elle pouvait apporter au personnage », explique Kevin Desmidts au micro de France Bleu le 12 novembre 2018. Ils fêtent avec elle ses 90 ans à Bobino, lors d’une soirée diffusée sur France 2 en juillet dernier.
De ces échanges nait « Les bijoux de famille », une comédie dramatique de 115 pages articulée autour d’une grande famille bourgeoise. « On a dû trouver un rôle pour Line Renaud », explique Vincent Vitte sur France Bleu. « C’est quelqu’un qui est plein de vie, qui est extrêmement pétillante, dynamique, donc on a créé le personnage de Lutetia qui est dans cet état d’esprit là, et qui est une riche héritière d’un empire industriel de l’armement mais qui a un problème : c’est son mari qui la dirige, et elle aimerait reconquérir cette entreprise qui est la sienne ».
Pour Line Renaud, qui confiait sur l’antenne d’Europe 1 son souhait pour 2019 de vivre « la surprise d’une nouvelle première fois » en ajoutant « un nouveau grand rôle » à sa filmographie, la surprise pourrait donc être de taille si le projet des jeunes cinéastes se concrétise.
Les bijoux de famille
Révélé par l’Est Républicain le 11 novembre 2018, après une campagne de teasing orchestrée pendant deux semaines, le nouveau projet caracole rapidement dans le top 3 des articles les plus lus sur le site du journal. Le lendemain, Kevin Desmidts et Vincent Vitte sont invités à en parler au micro de France Bleu Besançon dans un entretien d’une demi-heure.
Le long-métrage, dont les premières pages sont disponibles sur le site officiel du projet, commence sur les chapeaux de roues. Invité sur un plateau de journal télévisé pour s’expliquer sur une affaire de fraude fiscale, François Cenci, dirigeant d’une grande entreprise d’armement (toute ressemblance avec feu Serge Dassault serait évidemment fortuite), termine les quatre fers en l’air, victime d’un malaise. Branle-bas de combat : si le roi se meurt, qui lui succédera ?
« On a travaillé sur le scénario pendant pratiquement un an, pour avoir quelque chose de vraiment abouti ». Pour ses créateurs, « Les bijoux de famille » est à la fois un film d’auteur et une comédie populaire. « J’ai tenté de faire un témoignage historique de notre société de communication, rythmée par les affaires politiques et autres scandales médiatiques, mais sur un ton humoristique », décrypte Vincent Vitte. Pour écrire cette comédie dramatique, il prend comme référence les dialogues de Michel Audiard. « C’est dans la veine des comédies de la deuxième moitié du vingtième siècle. Quand on fait du cinéma, on est obligé de s’inspirer de l’histoire du cinéma. C’est plein de références, de portes ouvertes ».
Quand on leur demande de citer un exemple, Kevin Desmidts évoque « La vie est un long fleuve tranquille » (produit par Charles Gassot), Vincent Vitte cite les « comédies françaises à la Lautner ou Verneuil » mais aussi « La splendeur des Amberson » de Orson Welles, et des séries comme « Baron Noir » (avec Niels Arestrup) pour l’aspect politique et médiatique de l’histoire.
Alors, « Les bijoux de famille au Max Linder Panorama », c’est pour quand ? « Le scénario est terminé, nous avons déjà commencé à travailler sur la musique et le découpage technique avec Gaylor Morestin et Leo De Celles » (compositeur de la musique originale de Madame est bonne ! pour le premier, chef opérateur du court-métrage pour le second, ndlr). Reste à savoir quelle sera la société de production qui va rafler la mise.
Et Line Renaud, dans tout ça ? « Tant que les conditions de production ne sont pas définies, c’est impossible de formaliser quoi que ce soit. On ne peut pas lui proposer quelque chose sans connaître les règles du jeu. Peut-être qu'au bout du compte, ce sera une autre comédienne qui interprétera le rôle. Qui sait ? », répond Kevin Desmidts, qui supervise ce nouveau projet. Lutetia Cenci devra donc encore attendre un petit peu avant de pouvoir se regarder dans une glace.
En attendant, « Madame est bonne ! » est disponible gratuitement en streaming ici avant d'être de nouveau à l'affiche à Morteau le 11 mars 2019, et l’intrigue/le prologue des « Bijoux de famille » sont à découvrir ici.